Ponte sullo Stretto di Messina 
Le "Mégapont" et la fascination du mal

di Serge Latouche, 
Université de Paris-Sud

Lorsqu'en 1998, j'ai signé l'appel (*) du comité "Entre Carylbe et Scylla","Pourque la sagesse prévalle sur l'inconscience", j'étais bien loin de connaître les mille et un détails de cet extraordinaire dossier. C'est le mérite d'Osvaldo Pieroni d'avoir produit, grâce à un travail de benedictin, une véritable somme, rassemblant de façon claire et intelligente tous les aspects du débat.

A défaut de cette compétence spécifique, j'ai adhéré alors en quelque sorte "d'instinct", me fiant à une intuition formée par la familiarité avec les problèmes de développement local en France et ceux des grands projets en Afrique, ainsi que par mes recherches sur le progrès, la science, la technique et la modernité (voir en particulier mon livre "La mégamachine.Raison techno-scientifique, raison économique et mythe du progrès", La découverte/MAUSS, Paris 1995/ "La megamacchina. Ragione tecnoscientifica, ragione economica e mito del progresso", Bollati Boringhieri, Torino 1995).

Travaillant sur l'aménagement urbain de la région Nord-Pas-de-Calais, dans les années soixante-dix, ne disait-on pas déjà que les routes construites à grands frais, sur les crédits départementaux de l'agriculture destinés au bien-être des paysans, sous le pretexte de désenclaver les zones rurales, servaient au dernier agriculteur à procéder à son déménagement vers la ville et au premier parisien à installer sa maison de campagne dans la ferme ainsi libérée ! Ayant longtemps étudié le sous-développement des tiers-monde avec son cortège d'éléphants blancs, ses cimetières de cathédrales industrielles dans le désert ou de projets "safari", j'ai tout de suite pensé que la "huitième merveille du monde", ce superbe pont sur le détroit de Messine, servirait selon la belle espression de Sergio Cofferati (p. 79) "à relier très rapidement deux déserts infrastructurels" ("rischia di essere un collegamento velocissimo tra due deserti infrastrutturali").

Comme pour le célèbre barrage d'Inga dans le Zaïre de Mobutu, on retrouve tous les mythes développementistes alliés à la corruption la plus éhontée.

Le désespoir engendré par la situation de sous-développement et le complexe d'infériorité/culpabilité qui en découle amène à confondre les virus les plus virulents de la maladie avec son remède.

Sensibilisé plus récemment aux blessures irréparables que l'économie inflige à la nature, j'ai aussi pressenti que "le pont sur le détroit (...) détruit une ressource de l'environnement : la beauté", comme le dit Nella Ginatempo (p. 95) ("Il Ponte sullo Stretto (...) distrugge una risorsa dell'ambiente: la bellezza"). J'avais le pressentiment que l'on s'orientait vers une catastrophe écologique.

Le bel ouvrage d'Osvaldo Pieroni a renforcé mes craintes et étayé mes réticences par des arguments solides. On pourrait dire qu'il s'agit d'un cas d'école, illustrant le fait que les leçons de tant d'échecs de projets pharaoniques dans un contexte comparable ne servent de rien pour décourager les entrepreneurs de la destruction par temps de paix. 

"Penser et projetter encore le développement en termes d'acier, d'asphalte et de cimentification, note O. Pieroni, signifie vivre en dehors de notre temps, être resté accrochés à une modernité industrialiste qui montre son obsolescence dramatique tant sur le plan économique que sur le plan politique et culturelle" (p. 91) ("Pensare e progettare ancora lo sviluppo in termini di acciaio, asfalto e cementificazione significa essere fuori dal nostro tempo, ancorati ad una modernità industrialista che mostra la sua drammatica obsolescenza tanto sul piano economico, che su quello politico e culturale"). Ce projet constitue un concentré exemplaire de tout ce que les logiques techno-scientifiques conjugées aux mécanismes économiques et aux perversions bureaucratiques peuvent engendrer de plus nocifs et de plus pernicieux, contribuant ainsi à cette banalisation du mal dénoncée par Hanah Arendt à propos du totalitarisme, mais qui est le propre des temps modernes. Celle-ci se perpétue dans la "démocratie de marché" de façon plus"soft" mais plus efficace encore que dans les systèmes ouvertement totalitaires. Le culte de l'exploit techno-scientifique ("la più importante realizzazione dell'uomo dopo lo sbarco degli americani sulla luna" Nino Calarco, p. 120) et la croyance irraisonnée dans le progrès et le développement y contribuent largement. Ainsi se trouve vérifiée la loi du système technicien, selon Jacques Ellul : S'il est possible de le faire, il faut le faire. Sous la pression des lobbies, le complexe du ciment, de la speculation foncière et immobilière et de la mafia, le syndicat des ingénieurs et des travaux publics, une bureaucratie retorse essaye de "passer en force" jouant à fond de la tactique du "coup parti". Les dépenses déjà engagées, les promesses inconsidérées faites ne permettent plus de revenir en arrière. L'enquête remarquable d'Osvaldo Pieroni ayant sérié de façon quasi-exhaustive tous les éléments du débat, il est inutile d'y revenir, on ne peut que reprendre, d'une autre façon ses conclusions.Si le projet était rationnel, c'est-à-dire rentable en termes de calcul économique rigoureux, comme le sont vraisemblablement le tunnel sous la Manche ou la récente liaison Suède-Danemark reliant deux zones intensément développées au trafic en croissance, il ne serait pas, pour autant raisonnable de le faire. L'absence de véritable analyse de impact evironnemental et écologique direct et indirect du projet et de ses retombées ne peuvent que renforcer les réticences des sages. La négligence de la dynamique des plaques continentales, la sous-estimation des risques sismiques, des vents et des courants marins devraient entraîner l'abandon du projet en vertu du principe de précaution.

Toutefois, dans le cas présent, l'étude économique montre qu'il s'agit d'un investissement irrationnel, trop coûteux face aux retours escomptés, inutile au regard des alternatives concevables, sans effets d'entrainement prévisibles avec importation massive de technologies importées, bref typique de ces investissements inconsidérés faits dans le Sud que dénonce le Professeur F. Labella : " absolument privés de connections organiques avec le territoire" (assolutamente privi di connessione organica con il territorio" (p. 105). On voit bien qu'en fait, la raison économique n'est invoquée qu'à titre d'alibi. Ce qui est sûr, c'est qu'à défaut de sortir la région du marasme, en négligeant les solutions alternatives, on accomplira un crime contre la beauté. Comme dit encore Nella Ginatempo: "Si, donc, manquent les catégories de l'utile et du juste, sauvons au moins les catégories du beau !" ("Se, dunque, mancano le categorie dell'utile e del giusto, salviamo almeno le categorie del bello !" (p. 108).

Seule la fascination de l'exploit spectaculaire, prométhéen, du défi auréolé du symbole nationaliste et géopolitique de l'unification du territoire italien et du rattachement matériel au continent peut expliquer l'aveuglement néfaste des "braves gens" non corrompus par les groupes de pression aux intérêts partisans clairement identifiables. Si Jupiter aveugle ceux qu'il veut perdre, veuillent les Dieux préserver la Calabre et la Sicile d'un destin si funeste!

Par Serge Latouche, Université de Paris-Sud.

(*) APPELLO ALL'UNESCO* PER LA PROTEZIONE DELLO STRETTO DI MESSINA QUALE PATRIMONIO NATURALE E CULTURALE DELL’UMANITA’.

*UNESCO. INTERGOVERNAMENTAL COMMITEE FOR THE PROTECTION OF THE WORLD CULTURAL AND NATURAL HERITAGE.

Fanno parte del Comitato promotore "Tra Scilla e Cariddi": Legambiente, WWF, Rifondazione Comunista (Calabria e Sicilia), Verdi, Cric, Torre di Babele, Comitati di Base di Messina, Alberto Ziparo (Università di Firenze), Osvaldo Pieroni (Università della Calabria).

Tra le prime adesioni segnaliamo: Serge Latouche (Università di Parigi, XI), Quirino Ledda, Giovanni Pandolfi (Vice Pres. Consiglio Regionale Basilicata), Nico Marcantoni (WWF Basilicata), Nadia Scardeoni ("Mezzocielo", Palermo- Comp. Comitato Scientifico Educazione&Scuola), Fulvio Beato (Cattedra di Sociologia dell’Ambiente, Univ.La Sapienza, Roma), Paolo Jedlowski (Univ. Della Calabria), Le Redazioni di Basilicata, Puglia e Calabria di "OraLocale", Il Centro Interdipartimentale di Women’s Studies "Milly Villa" (Università della Calabria), l’Associazione Internazionale delle Donne per la Comunicazione "Mediterranean Media". 

Le adesioni possono essere inviate tramite e-mail a: o.pieroni@unical.it oppure a ambiente@netonline.it oppure a oralocale@hotmail.com.
Tramite fax alla Redazione di "OraLocale": 0984/401199.

in rete:

Ponte sullo Stretto di Messina: L'audizione del 17/7/1991 alla Camera dei Deputati
http://www.strettodimessina.it/audiz.htm

Ponte sullo Stretto di Messina: Rassegna Stampa
http://www.strettodimessina.it/rs.htm

La presente rassegna include i più significativi articoli relativi al Ponte sullo Stretto di Messina pubblicati sui principali giornali italiani.